Avec les tumultes de la vie politique américaine sous l’administration Trump, les tentatives pour déstabiliser l’élection de Joe Biden, la crise sanitaire du Covid-19, on n’a jamais autant parlé de désinformation que ces dernières années. Et la campagne pour l’élection présidentielle française de 2022 est déjà source de préoccupation en la matière. C’est dans ce contexte que le Conseil national du numérique (CNNum), organisme consultatif sur les questions relatives aux usages du numérique et d’Internet, a publié le 28 juin 2021 le rapport “Récits et contre récits, itinéraire des fausses informations en ligne”.
Pour ses auteurs, la consultante en stratégie et anthropologue du numérique Rahaf Harfoush et l’avocat Adrien Basdevant, il s’agit de prendre la désinformation et les théories conspirationnistes comme un véritable objet d’étude. Pourquoi de fausses informations circulent, qui trouve-t-on derrière, quels sont les intérêts ? Et pourquoi Internet en est-il devenu le lieu privilégié, à rebours de son idéal de départ ? Explications avec Rahaf Harfoush.
Rahaf Harfoush, membre du Conseil national du numérique depuis février 2021. CNNum
Sciences et Avenir : Quel est le contexte de ce rapport ?
Rahaf Harfoush : Le rôle du CNNum consiste à réfléchir à de grandes questions sur notre relation à la technologie. Notre premier travail en ce sens traitait du rapport au savoir (“Pour un numérique au service des savoirs”, en mai 2021, par des membres du CNNum nommés en février, ndlr). Comment le numérique dynamise notre capacité d’agir et de penser. Là, nous nous intéressons aux fausses informations dans une France se préparant à une élection présidentielle.
C’est un thème que j’étudie depuis dix ans. En tant que membre du CNNum, Adrien et moi avons mis en commun nos expertises mais nous avons aussi sollicité d’autres spécialistes comme Camille François de Graphika (cabinet d’analyse de diffusion de l’information sur les réseaux, ndlr), le politologue Julien Giry, le Youtubeur Sylvain Cavalier de la chaîne "Le Debunker des Etoiles".
Pourquoi s’intéresser particulièrement à "l’itinéraire" des fausses informations plutôt qu’à leurs contenus ?
Avec les tumultes de la vie politique américaine sous l’administration Trump, les tentatives pour déstabiliser l’élection de Joe Biden, la crise sanitaire du Covid-19, on n’a jamais autant parlé de désinformation que ces dernières années. Et la campagne pour l’élection présidentielle française de 2022 est déjà source de préoccupation en la matière. C’est dans ce contexte que le Conseil national du numérique (CNNum), organisme consultatif sur les questions relatives aux usages du numérique et d’Internet, a publié le 28 juin 2021 le rapport “Récits et contre récits, itinéraire des fausses informations en ligne”.
Pour ses auteurs, la consultante en stratégie et anthropologue du numérique Rahaf Harfoush et l’avocat Adrien Basdevant, il s’agit de prendre la désinformation et les théories conspirationnistes comme un véritable objet d’étude. Pourquoi de fausses informations circulent, qui trouve-t-on derrière, quels sont les intérêts ? Et pourquoi Internet en est-il devenu le lieu privilégié, à rebours de son idéal de départ ? Explications avec Rahaf Harfoush.
Rahaf Harfoush, membre du Conseil national du numérique depuis février 2021. CNNum
Sciences et Avenir : Quel est le contexte de ce rapport ?
Rahaf Harfoush : Le rôle du CNNum consiste à réfléchir à de grandes questions sur notre relation à la technologie. Notre premier travail en ce sens traitait du rapport au savoir (“Pour un numérique au service des savoirs”, en mai 2021, par des membres du CNNum nommés en février, ndlr). Comment le numérique dynamise notre capacité d’agir et de penser. Là, nous nous intéressons aux fausses informations dans une France se préparant à une élection présidentielle.
C’est un thème que j’étudie depuis dix ans. En tant que membre du CNNum, Adrien et moi avons mis en commun nos expertises mais nous avons aussi sollicité d’autres spécialistes comme Camille François de Graphika (cabinet d’analyse de diffusion de l’information sur les réseaux, ndlr), le politologue Julien Giry, le Youtubeur Sylvain Cavalier de la chaîne "Le Debunker des Etoiles".
Pourquoi s’intéresser particulièrement à "l’itinéraire" des fausses informations plutôt qu’à leurs contenus ?
Justement, nous trouvions que, concernant les "fake news", on se concentre généralement sur le résultat, les "news" elles-mêmes. On ne prend pas le temps de vraiment comprendre pourquoi elles existent. Du coup, nous commençons, dans le rapport, par remonter aux valeurs qui accompagnaient la création d’Internet et du Web. A la base, ces technologies permettent la liberté des échanges. C’est l’"open Internet and free web", l’Internet ouvert et le web libre et gratuit. Il servait à l’origine au partage d’informations et de données entre chercheurs.
L’Internet d’aujourd’hui est très différent mais de cette philosophie initiale est restée l’idée que n’importe qui peut partager une information et la présenter comme venant d’un expert. La désinformation en ligne est le résultat direct de cette histoire. Cela ne signifie pas que tout est à jeter dans cette histoire, c'est simplement une clef pour comprendre le phénomène.
Vous estimez que l’on s’intéresse trop au "produit fini", que l’on cherche trop à vouloir démentir une contre-vérité ?
Effectivement, on entend toujours parler de désinformation sous l'angle du débat “ça c’est vrai/ça c’est faux”. Nous, nous voulions comprendre quels en sont les mécanismes. Comment ça marche, qui est à l’origine de quoi, pourquoi ? Revenir au facteur humain, rappeler que derrière, il y a des gens. Des gens qui ne sont pas forcément stupides mais essaient de comprendre le monde qui les entoure. Et d’autres, des entreprises, des gouvernements, des individus, qui suivent des objectifs spécifiques. Nous cherchons à voir comment tout cela façonne notre expérience d’Internet.
Cette approche serait délaissée ?
Il existe beaucoup d’excellents travaux sur la détection de "fake news" mais je pense qu’on a aussi besoin d’une meilleure compréhension de l’écosystème. Oui, c’est important d’avoir des outils d'intelligence artificielle qui aident à déterminer si quelque chose est faux, mais ce n’est pas suffisant car il existe des motivations plus profondes. Il faut pouvoir comprendre comment un système de croyances a pu s’établir. Il faut les deux approches. Les gens ne seront jamais convaincus par le démenti d’une désinformation.
C’est pour cela que vous utilisez l’exemple de l’analyse des tweets soutenant le documentaire complotiste Hold-up, pour montrer que de fausses informations peuvent cacher une démarche politique ?
Oui. Quand on parle de désinformation, on analyse souvent le phénomène en disant que les internautes qui y croient ne sont pas assez intelligents, qu’il faut les éduquer, mieux les informer. Mais la réalité est beaucoup plus complexe. Certes, des gens vont partager des contenus qu’ils viennent de lire sans savoir qu’ils sont faux, et c’est pourquoi nous avons précisé dans le rapport la différence entre la "mésinformation" et la "désinformation". Mais d’autres, des groupes politiques, des gouvernements créent et diffusent des "fake news" à dessein, en sachant parfaitement exploiter les possibilités d'algorithmes des outils numériques afin de promouvoir leurs contenus.
Aux Etats-Unis, on a découvert que sur Facebook, Twitter et Instagram, 65% des fausses informations relatives aux vaccins contre le Covid-19 étaient diffusés par 12 personnes ! Dont certaines dirigeaient des entreprises vendant des comprimés censés protéger contre le virus. On s’est aussi rendu compte que des contenus de la sphère complotiste américaine QAnon étaient diffusés depuis la Chine et la Russie. Dans le premier exemple, on a affaire à un agenda économique caché, dans le deuxième, à un agenda géopolitique. En France aussi : des réseaux russes ont orchestré une campagne contre le vaccin du laboratoire Pfizer.
Pourquoi faire une place, dans le rapport, à ce mouvement QAnon qui fait surtout parler de lui aux Etats-Unis ?
Parce qu’on observe l’arrivée de cette mouvance en France. Il y a eu dans un premier temps des "informations" de QAnon venant du Québec, via des Canadiens francophones, mais maintenant, soit des Français traduisent eux-mêmes des contenus, soit des contenus anglophones sont automatiquement traduits en d’autres langues - arabe, espagnol, italien. Il y a une volonté de rendre accessibles ces informations, et des moyens mis en œuvre pour le faire. Ces groupes sont en train d’utiliser les mêmes stratégies que les grandes marques, avec des codes couleurs, des logos. Le niveau de sophistication est assez fascinant.
Le rôle des réseaux sociaux est régulièrement pointé du doigt alors que la désinformation existait bien avant eux. Ont-ils dopé le phénomène ou sont-ils responsables de plus que cela ?
Le plus préoccupant réside dans le fait que les sociétés telles Twitter, Facebook, Amazon, sont constamment en train d’essayer d’améliorer leurs algorithmes de suggestion de contenus. Ce peut être une petite équipe de développement procédant à un tout petit changement dans le code. Mais ce changement aura un impact immédiat sur des millions de personnes. Ce n’est pas comme avec d’autres industries où cela prend quelques années, mois ou semaines pour voir les conséquences d’une modification. Là, non : on change le code et aussitôt, l’ordre de ce qui s’affiche sur les pages internet change, les priorités changent, des contenus disparaissent.
Et pour des raisons de propriété intellectuelle, ces modifications restent opaques. On ne peut pas savoir pourquoi, si j’ai 20 "amis", Facebook et Twitter décident de ne m’en montrer que cinq, pourquoi ces cinq-là et quel impact cela va avoir sur les 15 autres. En tant qu’utilisateur, notre expérience sur ces plateformes change sans même qu'on le sache. Cela donne un vrai pouvoir sur le point de vue que peuvent avoir les internautes sur le monde.